Si l’enthousiasme frénétique suscité par Pokemon Go à ses débuts est quelque peu retombé, le jeu s’est malgré tout imposé comme une référence du jeu vidéo mobile et génère toujours des revenus considérables : plus d’un demi milliard de dollars de revenus depuis son lancement en juillet 2016 !
Nous savons bien qu’il existe plusieurs définitions de l’uberisation. Pour cet article, nous nous contenterons de parler de l’uberisation comme du processus par lequel une innovation radicale va déstabiliser un secteur et ses acteurs. En remettant en cause le fonctionnement des acteurs établis de l’industrie du jeu vidéo, Pokemon GO a bien uberisé son secteur.
Le phénomène Pokémon GO prouve encore une fois que ces dernières années, les startups sont à l’origine des grandes innovations du capitalisme. Niantic a bouleversé l’industrie du jeu vidéo mobile en introduisant la réalité augmentée dans ses produits — d’abord avec Ingress en 2012 puis avec Pokemon GO aujourd’hui.
Mais l’innovation se fait aussi dans le business model. Certes Pokemon GO contient des achats intégrés mais à terme, une part importante des profits proviendra de la publicité faite pour des commerces de proximité. McDonald’s a déjà conclu un partenariat au Japon afin que trois cents arènes soient localisées dans leurs restaurants.
Enfin, l’innovation majeure apportée par Pokemon Go à l’univers du jeu vidéo mobile est sa capacité à mobiliser l’ensemble des fonctionnalités de nos smartphones pour produire une expérience de jeu hors normes. Nous utilisons la géocalisation pour nous déplacer, nous attrapons nos Pokémons avec notre appareil photo, nous relayons nos captures via les réseaux sociaux… Bref, les principales fonctionnalités de nos portables sont toutes mises au service du jeu !
Et dans le secteur du jeu vidéo, tout le monde est dépassé : tant les éditeurs classiques qui n’ont jamais réussi à s’adapter pleinement au marché du mobile (Electronics Arts, Activision, Ubisoft etc.) que les éditeurs spécialisés dans les applications mobiles comme King (éditeur de Candy Crush) ou Gameloft (éditeur de la série Asphalt). Pour vous en convaincre, sachez que Pokemon Go engrangea au mois d’août plus de recettes par jour que toutes les autres applications mobiles réunies !
Pokemon lean
Pokemon GO est aussi la preuve que le lean startup est actuellement le meilleur moyen pour lancer un produit. A sa sortie, le jeu contenait d’innombrables bugs et les serveurs n’étaient pas en capacité de gérer un tel flux. Mais l’expérience utilisateur fut si bonne que les joueurs cherchaient néanmoins à y jouer. Grâce aux feedbacks récupérés depuis la sortie du jeu, Niantic a pu résoudre rapidement les principaux bugs et obtenir de nouvelles idées pour améliorer le jeu.
Il est à noter que cette stratégie est délibérée et qu’elle n’est pas le signe d’une mauvaise préparation à la sortie du jeu. Avant sa généralisation, Niantic a testé son nouveau radar dans la ville de San Francisco et l’a ajusté par petites touches, jusqu’à ce qu’il soit optimal et prêt à être étendu au reste du monde. On teste sur un échantillon, on récolte du feedback, on améliore et on recommence jusqu’à être satisfait de la fonctionnalité finale.
Les acteurs de cette ubérisation
Niantic est née en 2010 comme filiale interne de Google. John Hanke se trouve à sa tête depuis son lancement. Auparavant, il a été l’instigateur de Google Earth et a dirigé pendant quelques années la division Géo de Google. Niantic a été créée dans l’objectif de trouver de nouveaux produits exploitant au maximum les services cartographiques du groupe. La startup a d’abord lancé Field Trip, un service qui envoie des notifications sur les points d’intérêt se trouvant près de chez nous. Puis, progressivement, la startup a centré son activité autour des jeux vidéo mobiles.
En 2012, Niantic sort le premier jeu vidéo du groupe. Ingress est un jeu en réalité alternée qui fait s’affronter deux équipes cherchant à contrôler des portails représentés sur une carte collaborative. Ces portails se créent au fur et à mesure des propositions des joueurs (qui soumettent des idées de lieux assorties d’ une photo et d’une description).
Il faut bien comprendre que Niantic a utilisé Ingress comme ciment technologique et économique pour bâtir Pokemon GO. Ainsi, les arènes et les Pokéstops sont situés aux mêmes endroits que les portails d’Ingress.
Au départ, Ingress a réfléchi à une monétisation différente de son produit, en refusant les achats intégrés qui altèrent fortement l’expérience utilisateur des joueurs. Leur idée était d’établir des partenariats publicitaires avec des grandes marques (AXA, Mitsubischi, Motorola ou encore Vodafone) afin qu’elles se dotent de leur propre portail personnalisable.
Mais en août 2015, au moment de la restructuration de Google autour de la holding Alphabet, la startup est obligée de prendre son envol et de trouver de nouvelles sources de revenus. Niantic se voit alors obligée de doter Ingress d’un système classique d’achats intégrés.
Trois mois après avoir acquis son indépendance, Niantic lève 30 millions de dollars auprès de Nintendo, The Pokemon Company et Google (20 millions accordés directement et 10 millions supplémentaires si la startup atteint certains objectifs). Début 2016, Niantic reçoit 5 millions d’euros supplémentaires. Ces fonds ont permis de développer et de lancer Pokémon GO.
Le succès de la Trinité : la marque (Pokemon), les grandes entreprises (Google et Nintendo) et la startup (Niantic)
Ces trois acteurs ont uberisé le secteur du jeu vidéo en procédant de manière inédite pour créer Pokemon GO. Nintendo comme Google sont des investisseurs, qui mettent à disposition de la startup leurs nombreuses ressources : Niantic a bénéficié d’une liberté quasi-totale pour développer son jeu.
Pour Nintendo et the Pokemon Company, cette opération fut un pari gagnant leur permettant de faire leurs premiers pas dans l’univers du mobile. Jusque-là, seul Nintendo avait eu le droit de développer des jeux vidéo autour de Pokémon. Au lieu de courir le risque de se lancer dans un secteur très spécifique du jeu vidéo, la firme japonaise a préféré aligner quelques millions et confier cette mission à un expert. Avec Pokémon Go, Nintendo touche le milliard de personnes qui jouent sur mobile sans en avoir une connaissance approfondie.
Dès sa création, Niantic était une business-unit indépendante du reste de Google. Dès lors, elle avait deux stratégies de sortie : soit elle réintégrait sa technologie au sein du groupe, soit elle s’en séparait définitivement. Deux raisons majeures expliquent le fait que Niantic ait souhaité prendre son propre envol :
La startup ressemblait plus à une entreprise d’édition de jeux vidéo qu’à une boite travaillant autour des services de Google,
Google tient à conserver sa neutralité dans ses activités qui sont pour la majorité des plateformes (Play Store, Google Maps) sur lesquelles tout le monde peut travailler sans que certaines soient avantagées. Pour lancer Pokemon GO, Niantic avait besoin de s’allier avec Nintendo ce qui allait à l’encontre du désir de neutralité de Google.
Mais cette séparation un peu particulière va à rebours de la stratégie actuelle de Google qui garde jalousement les projets soutenus et incubés. En effet, Alphabet se veut être une structure flexible capable d’abriter des entreprises et des cultures différentes pour ne pas perdre des potentielles sources de revenus.
En Bref
Avec Pokemon GO, Niantic a uberisé le secteur du jeu vidéo en y apportant des innovations radicales que ce soit dans l’expérience utilisateur, dans le business model ou encore dans la façon de bâtir l’application.
Aujourd’hui, la plupart des grandes innovations de rupture sont introduites par des startups. Le mode lean startup les aide à structurer leur démarche d’innovation grâce au cycle créer-tester-apprendre.
Si un grand groupe veut rester à la pointe de l’innovation, nous voyons deux solutions efficaces : investir dans des startups comme Nintendo, héberger un “startups studio” comme Google.