Ces derniers mois, nous avons été contactés plusieurs fois par des agences de publicité qui se faisaient passer pour des journaux ou magazines français en nous proposant une interview journalistique et un article de fond contre rémunération. Lors de l’appel l’interlocutrice dit bien je suis XXXX du magazine Challenges (ou autre) et ne prononce jamais le mot publicité.
Scandalisé par cette pratique publicitaire opaque pour les lecteurs, j’ai fait un post Facebook dans un groupe réunissant de nombreux entrepreneurs français et nous nous sommes rendus compte que cette pratique était monnaie courante dans l’écosystème.
Aujourd’hui, j’écris cet article pour formaliser les échanges que nous avons eus autour de l’utilisation de cette dérive du publi-rédactionnel et vous faire part de mes recherches.
Le publi-rédactionnel, qu’est ce que c’est ?
Une agence de communication qui a contacté l’un d’entre nous a défini le publi-rédactionnel de la façon suivante : « un publi-rédactionnel est une publicité déguisée sous forme d’un article ou d’une interview. Déguisée parce que vous avez payé pour être dans tel magazine, sur telle page ou sur tel site mais personne ne le sait, surtout pas vos clients, vos prospects ou vos potentiels investisseurs… Cela offre l’avantage de masquer le discours commercial et d’avoir un retour plus pertinent et plus impactant qu’une publicité classique. » Bref : on enfume les clients, les investisseurs, les copains, etc.
Les agences de publicité présentent donc le publi-rédactionnel comme un article que nous rédigeons pour promouvoir notre startup mais que nous payons pour qu’il soit mis en valeur et que personne ne se rende compte qu’il est publié à des fins publicitaires.
En m’intéressant à cette pratique, je me suis rendu compte que la loi précisait — fort heureusement — que tout article qui prend la forme d’un publi-rédactionnel devait annoncer explicitement à son lecteur son caractère publicitaire. Résultat, en faisant quelques recherches, je suis tombé sur des articles mettant en valeur des startups avec des messages très ambigus quant au caractère publicitaire de l’article.
Par exemple cet article de Libération sur la startup Artips est un publi-rédactionnel vendu 2 500 € mais les seuls signes qui prouvent que c’est un article publicitaire sont le tag « communiqué » qui est très flou et le bandeau orange à gauche qui distingue cet article des autres articles du site.
De la même façon, I-Télé diffuse une émission sponsorisée par la banque Palatine qui met en valeur des startups. Ce sponsoring est précisé à chaque fois que l’émission commence, mais ne se distingue pas vraiment d’une publicité de début de programme. Et en creusant un peu, on se rend compte que Palatine propose à ses clients d’investir dans certaines des startups crédibilisées par cette émission, comme les laboratoires YON-KA.
En ce qui nous concerne, nous avons été contactés deux fois lors des derniers mois. Une première fois pour faire parti de “la sélection des entreprises de l’année” du magazine Capital pour un prix de 7 950 €. Une seconde fois pour participer à un programme de Challenges : en échange de près de 5 300 €, ma startup pouvait être listée par le magazine comme l’une des 40 startups à suivre en 2016 et une vidéo et un article lui auraient été consacrés.
En regardant en détails les mails, je me suis aperçu que les deux fois nous avons été démarchés par la même agence de publicité qui travaille avec de grands magazines français.
Même si les agences de publicité sont à l’initiative pour proposer aux médias ce genre de contenu, il faut que ces derniers se réveillent car ces pratiques nuisent énormément à la qualité de leurs publications.
Une pratique aux conséquences nocives sur l’écosystème des startups
L’autre principale victime de cette pratique est l’écosystème des startups. Car ces articles créent des effets de mode à propos d’entreprises qui n’en valent pas la peine mais qui par le simple fait d’avoir dépensé de l’argent sont mises en valeur auprès du grand public. En lisant un article publicitaire masqué sur une startup, un lecteur peut s’y attacher et lorsque cette startup ne répond pas aux attentes, il se sent floué et son désaveu se propage à l’ensemble de l’écosystème : « Ya une bulle jte dis, tu vas voir ».
Plus généralement on constate que souvent les journalistes laissent leur esprit critique de côté au moment d’écrire un article sur une startup parce qu’ils tiennent à écrire un « article positif » et veulent mettre en avant « ceux qui font bouger la France» blablabla. Stop ! Il est temps de murir !
J’ai cependant bon espoir que des articles d’investigation de qualité se généraliseront (je rêve peut-être…) comme les grands journaux en font sur d’autres thèmes : la politique, la société, les grandes entreprises, etc. Cela viendra surement avec le temps pour les startups, de même que l’ORTF n’est plus là pour encenser chaque décision de l’exécutif…
En bref
Aujourd’hui, les membres de l’écosystème startup s’informent sur des médias spécialisés (Techcrunch, Numérama,…) et surtout sur les quantités de posts indépendants des uns et des autres, mais le grand public est nourri à la pub sans le savoir et réalise, parfois amèrement, que le bon grain était de l’ivraie.
Update du 19/09/2016
Suite à la publication de cet article :
- Le magazine Challenges a retiré la rubrique incriminée qui était en page d'accueil de son site,
- Et le dirigeant de la principale agence de pub incriminée m'a dit qu'il perdait des contrats à cause des retombées (^^). Ce fut confirmé par au moins un de ses clients.
Cela a été possible grâce à la réactivité de Mediapart qui a mis l'article (dupliqué sur un blog Mediapart) en page d'accueil de son site et Arrêt sur images qui poussé l'enquête un peu plus loin : http://www.arretsurimages.net/…/Publi-reportage-un-start-up….
Je vous passe les divers échanges (ou menaces!) avec la plupart des entreprises/médias/agences de com incriminés. C'est assez hallucinant de voir que certains dirigeants de journaux ou d'entreprises peuvent exercer leur métier avec si peu d'éthique professionnelle sans y voir de problème parce que "la presse est en crise" et "c'est comme ça dans le métier".
Article modifié après publication